[abh1] la pression sociologique

Turing s'était attiré la haine de ses collègues parce qu'il avouait ne pas voter.  Il lui semblait que mettre un bulletin dans une urne était un acte statistique, hasardeux et grégaire, tandis que fabriquer un cerveau était artistique, individualiste, et ne tenait qu'à lui.  Et comme ce dernier acte travaillait tout aussi bien, voire même mieux, à transformer la société dans le sens qui lui convenait, pourquoi s'adonner à une pratique inférieure quand un art élevé peut s'y substituer ?

Les plus bilieux des collègues ne supportèrent pas cette affirmation éhontée d'un talent supérieur conscient de lui-même.  Ils le traitèrent comme un être bas, faux, une chose vile, ignoble, une ordure.  C'est qu'il n'est pas permis de s'affirmer supérieur devant les hommes : ils ne le permettent pas.  Celui qui est capable de grandes choses doit les celer, comme Descartes portant son masque.  Le génie est toujours immolé par la masse, quelle que soit d'ailleurs cette dernière.  

Aussi, détournez-vous des groupes et des nombres.  Il y a en toute relation, quoi ! une secrète demande de médiocrité.  Partout, partout, toujours, toujours, nous tendons à la bassesse.  Toi qui voudrait approcher de la néantitude récurrente, jette d'abord ta sociabilité au feu, car elle est une idole

	Une idole est une fausse divinité auquel on rend un culte, cela désigne aussi toute chose en réalité non essentielle à laquelle on attache de l'importance —— et ainsi, on s'égare.

.

    <<          >>