. L'un deux prit la parole et dit : « La souffrance ne se manifeste que parce qu'elle en a la place. Plus importante qu'elle est cette place, ou cette latitude. Oui certes, toutes les choses ont du jeu entre elles, et c'est le jeu qui est l'essence des êtres. Quand bien même vous agiriez avec la plus grande attention, vous ne vous retiendriez pas de produire des gestes ludiques par surcroît. »
« Non ! Le jeu n'est pas l'essence profonde, ce serait plutôt la raison pour laquelle les choses se perdent. En permanence les flots s'écoulent et s'abîment dans l'inattendu des cascades d'être surnuméraire. Si nous voyions le monde tel qu'il est en son entier, nous ne pourrions le comprendre. Aussi l'être des choses, c'est d'abord tout ce que nous oublions qu'elles sont. »
« Vous n'y êtes pas, dit un troisième. L'essence des choses ne peut être donnée de manière simple, parce que c'est à travers nous qu'elle paraît. C'est la raison pourquoi ce qui est est toujours autrement que nous voudrions qu'il soit, et que ce que nous voulons est toujours voulu autrement que les choses ne sont. Ce rapport des deux faces de l'être en constitue l'essence, qui est donc la déception que les choses entraînent, et à laquelle au fond elles équivalent. »
Un quatrième dit : « Mais si les choses se réalisent par la déception, c'est qu'il peut y avoir des rencontres. Chaque être est unique en soi, et égaler deux choses, c'est toujours faire coïncider deux généalogies. Aussi je dis que rien de ce qui fait le monde n'est, mais que ce que l'on détermine à être procède de la rencontre. »
« Non, dit le cinquième, car la rencontre qui détermine l'être se fait par le concept, or le concept n'est qu'un procédé tandis que la réalité est aussi précise et fine qu'une intuition. Le concept est une sphère, mais l'intuition est un point. Ce point, nous le comprenons immédiatement par la poésie du monde. Il est à nous, parce qu'il nous échappe. En échappant il est. L'essence du monde est donc dans l'échappement. »
Ils discutèrent encore longtemps, pour finir par se taire. Les choses n'avaient pas dit leur dernier mot ! Hé bien, où se trouve leur essence ? Ne peut-on la situer là où l'on veut qu'elle soit ? Et si le caractère loisible de l'essence était l'essence de l'essence ?